Conférence de la SHAASM – lundi 15 juillet

« Une guerre dans ma tête » – « Mes témoins de la Libération »

Jean LEBRUN, par ailleurs sociétaire de la SHAASMest agrégé d’histoire, ancien journaliste à La Croix, producteur au long cours à France Inter et France Culture, encore cette première quinzaine de juillet 24 sur cette antenne avec une série de dix heures sur les batailles navales.

Deux de ses livres évoquent longuement la Deuxième Guerre :  » Ici Saint-Pierre-et-Miquelon  » (Bleu Autour, 2022) et  » Coco Chanel, une vie derrière la marque » (Calype, 2024)

Présentation de sa conférence :

 » Je ne parlerai pas beaucoup de Saint-Malo. En cette période de ruines et chaos, il me parait plus urgent d’entretenir l’idée de la Libération.

Je suis né en 1950, au moment de l’invention du carbone 14, il y a donc bien longtemps. J’ai toujours ressenti l’ombre portée de la Deuxième Guerre, sauf peut-être en mai 1968. Et encore la Sorbonne de cette époque laissait-elle la porte entrebâillée sur les années terribles qui, ensuite, dès la décennie suivante, s’engouffrèrent par la fenêtre. Le Chagrin et la Pitié, Paxton, les Klarsfeld…

J’ai fait profession d’historien – ou plus modestement de passeur d’histoire. Et j’ai toujours voulu être proche des résistants et plus encore peut-être des Français libres, si nombreux en Bretagne.

Je voudrais évoquer tout ce que je dois à leur rencontre.

Il y aura au moins un Malouin dans le petit musée intérieur que je me suis constitué. Il s’appelle Raymond Perrussel. C’est lui le premier qui me parla de Lee Miller qu’il accompagna, radieux, dans les jours de la libération de la ville.

Lee Miller, à la fin de sa vie, cuisinait et buvait, recluse dans son cottage. Elle se tenait dans le silence, attendant qu’on vienne la réveiller, ce que fait Saint-Malo cet été.

Qui est trop aimé ne m’attire pas au premier abord. Les voix que je tenterai de vous faire entendre sont généralement restées encloses.

Mes maitres Henri-Irénée Marrou et Alphonse Dupront, grands historiens qui ont chaussé des lunettes à double foyer; au plus prés le désespoir, mais plus loin, l’espérance. Lucienne Portier la vaillante petite prof qui s’est cousue une étoile jaune sur le manteau alors qu’elle n’était pas juive. Mon ami Daniel Cordier, mon modèle d’homme, le secrétaire de Jean Moulin qui, la découvrant pour la première fois à Paris en 1942, répudia définitivement l’antisémitisme de Maurras dont il avait été le disciple. Et Gwen Ael Bolloré qui, politiquement, n’évolua pas de la même façon  mais parlait si bien de Londres – il y a une matière de la France libre comme il y a une matière de Bretagne.

Toutes ces vies que j’évoquerai sont autant de soulèvements de soi.

Mère Marie, en Russie militante socialiste-révolutionnaire, à Paris religieuse orthodoxe, était une excellente brodeuse. Apprenant à Ravensbrück la bonne nouvelle du Débarquement, elle fabriqua une tapisserie de Bayeux de format réduit avec les éléments dont elle disposait : essentiellement des fils électriques prélevés dans l’usine Siemens où elle était condamnée à travailler. Après sa disparition, et avant la libération du camp, une de ses compagnes dissimula la tapisserie serrée sur sa poitrine.

Porterai-je aussi bien le témoignage dont je suis redevable ? « 

                                                                                                                                                    Jean LEBRUN